Les principes de développement durable, nouveau cadre pour la coopération internationale en Afrique

Dans le cadre du dernier séminaire d’hiver de l’association AFRICA 21, think-do tank pour la promotion et la mise en œuvre des objectifs de développement durable en Afrique,  Pierre CHAMPSAVOIR – directeur associé chez COREUM – fut invité à modérer un panel d’experts pour échanger sur l’importance des objectifs de développement durable dans un contexte de transformation de la coopération internationale en Afrique, portée par de nouvelles dynamiques sud-sud et l’évolution des modèles de financement et de mise en œuvre des programmes. Pour analyser cette situation, l’auteur étudie ici le contexte, les risques et les opportunités autour d’une approche systémique basée sur 6 composantes de la coopération internationale : choix des thématiques, accès aux financements, définition des programmes, choix des partenaires, transfert aux bénéficiaires, mesure des impacts réels.

Ce texte et les positions qu’il propose n’engagent que son auteur et ne traduisent en aucun cas les positions des intervenants et des organisations participantes ou organisatrices.

Evolution des relations internationales par rapport aux enjeux communs

L’Agenda 2030 sur les Objectifs de Développement Durable (1) établi un cadre pour coordonner les efforts conjoints des Etats afin de transformer le monde dans lequel nous vivons, tant sur les dynamiques sociétales que sur notre manière de faire des affaires. L’interdépendance des 3 piliers économiques, environnementaux et sociétaux nécessite une approche concertée et coordonnée, soulignant l’importance de l’ODD n°17 sur la coopération internationale. Ce cadre fait échos à de nombreuses autres initiatives dans le monde, en particulier la Conférence de Paris sur le Climat (COP21), ou encore les accords d’Addis Abbeba définis lors de la Troisième Conférence Internationale sur le Financement du Développement de Juillet 2015.

La clé soulignée par l’ensemble des parties prenantes est l’importance du cadre déontologique et de la bonne foi dans l’engagement des négociations devant aboutir sur des partenariats internationaux productifs et efficaces. A ce titre, les ODD soulignent l’importance d’une approche pragmatique sur basée sur la priorisation des besoins réels des nations sur les 3 piliers économiques, sociaux et environnementaux, intégrant l’ensemble des parties prenantes locales et internationales afin de faire face à la complexité des enjeux à adresser.

Le Sud, au sens large, a bénéficié ces dernières décennies d’importants progrès dans le développement humain, le commerce, les investissements et l’accès aux technologies, dans un contexte de transformation progressive des dynamiques coopération. En Amérique Latine, les retours d’expérience d’initiatives de coopération régionale ont permis d’identifier les atouts et les limites de certains programmes. Dans tous les domaines, l’implication, la contribution et l’influence des acteurs du Sud a considérablement augmentée (2), nécessitant de repenser les mécanismes afin de saisir opportunités de cette nouvelle donne internationale, et de maîtriser les risques inhérents à la transposition des objectifs nationaux, et parfois politique, dans une démarche collaborative internationale pour le bien commun. L’occasion est d’autant plus grande que la coopération Sud-Sud et la coopération triangulaire (Sud-Sud-Organisations Internationales) sont à l’aube d’un jalon important, matérialisé d’une part par l’adoption de l’Agenda 2030 par l’ONU mais surtout par l’imminence de la Seconde Conférence de Haut-Niveau sur la Coopération Sud-Sud qui rassemblera les leaders internationaux le 22 Mars 2019 en Argentine pour faire le bilan du Buenos Aires Plan of Action – BAPA – 40 ans après son adoption (3). Face aux risques mondiaux, les opportunités sont grandes pour explorer de nouvelles pistes pour la coopération internationale.

Pour analyser cette situation, COREUM vous propose d’étudier les risques et opportunités autour d’une approche systémique basée sur 6 composantes (choix des thématiques, accès aux financements, définition des programmes, choix des partenaires, valorisation des bénéficiaires, mesure des impacts réels).

Un cadre commun pour la construction de stratégies durables coordonnées

Le choix des thématiques dans les négociations pour la coopération internationale est un élément central conditionnant dès le début l’efficacité à terme des partenariats et la qualité des impacts sur le terrain. Les expériences de coopération passée, particulièrement dans la coopération Nord-Sud, ont fait apparaître un risque majeur pour la pérennité des résultats : celui de l’effet de mode. En effet, les acteurs institutionnels de la coopération internationale, et derrière eux les femmes et les hommes qui les composent, sont influencés par leur contexte immédiat et les sujets portés sur le devant de la scène par l’actualité.

Or la coopération internationale, en particulier pour accompagner la transition vers un modèle mondial durable, nécessite une vision long terme et une constance dans les objectifs communs visés.

Dans ce cadre, l’Agenda 2030, et plus particulièrement sa transposition dans l’Agenda 2063 adopté par les pays de l’Union Africaine, est l’opportunité d’établir un cadre mondial commun pour le pilotage à long terme des stratégies de coopération internationale, bilatérales et triangulaires. Témoignage de l’engagement des pays africains dans ce domaine, la mise en œuvre du Forum Régional Africain pour le Développement Durable – ARFSD, pour African Regional Forum for Sustainable Development – et le volontarisme de 11 pays africains pour engager une revue de leur stratégie nationale sous le prisme du développement durable lors du prochain Forum Politique de Haut Niveau pour le Développement Durable – HLPF, pour High Level Political Forum – qui se tiendra en Juillet 2018 sur le thème « Transformation pour des sociétés durables et résilientes » (4).

Un outil de coordination internationale des stratégies de financement

Une fois les thématiques de coopération établies se pose la question du financement des programmes permettant d’atteindre les objectifs de développement durable. Compte tenu de la mutation acteurs et de la complexification des mécanismes de la finance internationale, le besoin de coordination sur l’allocation et l’origine des flux revêt une importance primordiale. Dans ce cadre, les pays du Sud, particulièrement en Asie, innovent en mettant en place de nouvelles banques de développement multilatérales (ex. New Development Bank, Asian Infrastructure Development Bank) dont les objectifs ciblés et les capacités de financement importantes traduisent une stratégie commune pour le développement de certains secteurs, avec une vision long terme qui se retrouve dans leurs mécanismes structurels, leur priorisation du développement local, et leurs politiques prudentes sur l’endettement sur les places de marchés financières (5). Dans ce contexte de montée en puissance de nouveaux acteurs du Sud, les acteurs du Nord sont bousculés dans leurs positions, et confrontés à un besoin urgent de repenser leurs mécanismes de financement pour maintenir la pertinence de leur diplomatie économique.

Sur le terrain cependant, le constat pour l’Afrique est parfois plus amer. Et bien que cette nouvelle donne géopolitique apporte son lot d’opportunités pour financer le développement des pays les moins avancés, force est de constater que la concentration des financements sur certains secteurs reste un risque majeur, au détriment d’une approche plus large et équilibrée pour la durabilité des impacts.

Face à ce besoin d’orienter des flux de financement de plus en plus diversifiés et nombreux, le cadre commun qui se construit autour des ODD fourni ici une opportunité stratégique lors des négociations internationale en fournissant un référentiel unique et structuré pour les pays et les bailleurs de fonds afin de s’entendre sur des accords de financement multilatéraux qui adresseront l’ensemble des dimensions nécessaire à l’émergence d’un modèle mondial de développement durable. Ce langage commun autour des enjeux du développement durable est donc l’opportunité de pallier le manque de coordination des activités de coopération internationale et de revaloriser les secteurs parents pauvres du financement internationale dans une logique de diplomatie multilatérale solidaire et pérenne.

Des programmes plus efficaces car penser dans toutes les dimensions du développement durable

Les ODD sont une opportunité pour élargir les horizons temporels de la coopération et pour assurer une coordination internationale des flux de financement entre les pays. Mais au-delà des intentions, la conception même des programmes de coopération internationale en Afrique doit être repenser afin d’intégrer ces nouvelles dynamiques et assurer leurs transpositions sur les territoires et les populations bénéficiaires. Par le passé, de nombreux programmes de coopération internationale se sont trouvés désavoués à la suite de leurs externalités négatives, et l’importance de l’écho médiatique et le rôle montant de la société civile dans la dénonciation de ces travers obligent désormais les bailleurs de fonds à analyser toutes les dimensions de leurs programmes, en particulier sur les volets sociaux et environnementaux. Les Politiques de Sauvegarde de la Banque Mondiale sont un exemple de cette prise de conscience, imposant une analyse préliminaire des risques et des opportunités sur toutes les dimensions du développement durable avant d’initier le financement d’un programme.

Le risque majeur se révèle ici par le besoin impérieux de prendre en considération l’ensemble de l’écosystème (économiques, mais aussi et surtout humaines et environnementales) pour garantir la pérennité et la reconnaissance de leurs résultats, tant par leurs partenaires internationaux que par les populations et acteurs économiques locaux, et la société civile internationale. A ce titre, l’exemple sur l’analyse des risques relatifs à la mise en œuvre prochaine du projet de zone de libres échanges à l’échelle du continent africain (6) mets en relief toute la complexité d’un programme de coopération régionale dont les bénéfices communs à long termes impliquent le traitement d’impacts locaux négatifs à courts termes.

Face à ces enjeux, le cadre commun des ODD fourni une opportunité pour explorer de nouvelles formes de réponses, accélérer le transfert de connaissances et de technologies aux impacts positifs, et ouvrir de nouvelles perspectives de développement inclusif, respectueux de l’environnement et soutenable économiquement. Cette mutation est déjà partiellement initiée, principalement portée par des bailleurs privés et les ONG qui n’hésites pas à co-construire leurs programmes avec les bénéficiaires dans le respect du patrimoine naturelle des territoires. Cependant, le passage à échelle nécessaire pour relever les défis du développement durable ne sera possible qu’avec la participation des acteurs institutionnels nationaux et internationaux, et ces derniers disposent à travers du cadre des ODD d’une opportunité pour projeter les programmes dans une logique de complémentarité et d’efficacité collective aux services du bien commun. A titre d’exemple, le récent rapport sur les pays les moins avancés de l’UNCTAD, souligne l’importance d’une vision commune et d’une perception globale de l’écosystème sur les volets sociaux, économiques et environnementaux, en particulier dans la planification et la coordination des acteurs publics et privés dans le cadre de l’accès universel à l’énergie (7) – ODD n°9.

Remettre les valeurs du développement durable au cœur des activités

Beaucoup d’acteurs économique savent ce qu’ils font (le Quoi ?), plusieurs d’entre eux ont une expertise sur la manière de le faire (le Comment ?), mais rares sont ceux qui peuvent unanimement sur positionner sur le Pourquoi ?. Cette perte de vision n’est pas propre à la coopération internationale et s’explique en partie par l’accélération du rythme de nos sociétés et l’importance donnée aux résultats immédiats. Dans le cadre de la mise en œuvre des programmes sur le terrain, cela se retrouve particulièrement vrai dans le choix et l’accompagnement des partenaires locaux en charge de mettre en œuvre les activités. L’écart entre les besoins en compétences techniques pour la mise en œuvre des programmes, et la disponibilité de ressources qualifiés sur le terrain rend difficile le travail de mise en œuvre et de pérennisation des impacts.

Dans ce domaine, la redistribution entre le central et le local a déjà fait d’énormes progrès depuis une décennie, cependant cette multiplication des acteurs entraîne un besoin croissant de contrôle souvent difficile et onéreux, et parfois volontairement limité, afin de palier au risque de fraude et de détournement des fonds alloués aux activités. Ce risque est un problème global à l’échelle mondial, mais il se retrouve particulièrement accru lorsque les écarts de richesses et la tension socio-économiques sont exacerbés. Dans le cadre de la coopération sur le continent Africain, les exemples ne manquent pas pour souligner les problèmes de bonne gestion des fonds alloués à des investissements ou au fonctionnement de projets, et face au mécontentement et à la dénonciation montante face à cette situation, les parties prenantes se rejettent la faute et lèvent les bras au ciel.

Fondamentalement, ce ne sont pas les accords sur le développement durable qui changeront cette situation. Cependant, en replaçant les valeurs éthiques du développement durable au cœur des négociations, les stratégies nationales et les programmes de coopération intégrant les ODD se positionnent de facto dans un cadre déontologique fort, solidaire et basé sur des valeurs universelles positives. De manière indirecte, c’est l’opportunité pour tous les acteurs de renforcer le cadre de fonctionnement des programmes, en amont durant les négociations et en aval à tous les niveaux de mise en œuvre des programmes. Dans ce domaine, les nouvelles initiatives menées par l’ITC – International Trade Center – témoignent du renforcement de cette approche préventive, en s’intéressant aux causes plutôt qu’aux conséquences, et en mettant les valeurs éthiques au cœur des formations adressées aux jeunes et aux femmes (8). En fondant leurs activités sur des objectifs de développement durable partagés par tous, avec une sensibilisation importante à tous les niveaux, les acteurs de la coopération nationale bénéficient d’un socle de valeurs à même de construire une confiance accrue. Et si l’on dit que « la confiance n’exclue pas le contrôle mais l’impose », ce contrôle trouvera cependant des nouveaux leviers en étant mieux accepté comme nécessaire pour garantir le bénéfice commun. Corolaire de ces valeurs déontologiques partagées, la pérennité même des activités de coopération se retrouve améliorée en renforçant l’appropriation et le développement continue des initiatives par les bénéficiaires au-delà de la durée des programmes.

La coopération apprenante et la mesure des impacts dans le temps

Dernière composante de notre analyse, la mesure des impacts reste encore le maillon faible des dynamiques partenariales à l’échelle internationale. La complexité même de ce domaine est historiquement reconnue. Aux indicateurs de niveau de décaissement – et donc implicitement de réalisation des programmes – suivis par les bailleurs de fonds, s’opposent la réalité parfois sordide des bénéfices réelles et des impacts à moyen et long termes visibles dans les pays où les programmes sont mis en œuvre. Ce constat ne doit pas faire d’ombres aux succès passés et à venir de la coopération, mais questionne cependant la notion de Retour sur Investissement, pilier à la doctrine économique dominante.

Le dernier risque identifié ici réside donc dans la difficulté de construire des modèles de mesure des résultats adaptés aux objectifs visés par la coopération, et plus encore que ces modèles soient reconnus et partagés par les différentes parties prenantes.

Là encore, les ODD apporte une base intéressante pour réfléchir les modèles de suivi et d’évaluation des programmes de coopération internationale, en apportant une structure commune pour la construction d’indicateurs de résultats, financiers et extra-financiers. Si quelques standards commencent à se démarquer, comme par exemple ceux de la Global Reporting Initiative – GRI, le chemin est encore long vers un standard commun de mesure des impacts. Les objectifs de développement durable, dans le consensus révélé par la convergence des Agendas 2030 de l’ONU et 2063 de l’UA, sont une opportunité pour explorer et co-construire les tableaux de bord qui permettrons de mesurer et de valoriser les progrès réalisés, et d’ajuster le cas échéant les stratégies individuels et collectives en vue de construire un monde meilleur.

« Make the world a better place » ironisait la série satyre Silicon Valley sur l’univers des start-ups, mais finalement n’y a-t-il pas une similarité intéressante entre ce modèle de la nouvelle économie et les investissements massifs de la coopération internationale dans des programmes aux débouchés incertains ? Chez COREUM, nous pensons justement qu’il existe une opportunité pour les représentants et leaders des pays d’Afrique, et leurs partenaires régionaux et internationaux du Sud et du Nord, de s’inspirer des succès du monde de l’innovation pour, ensemble, renforcer l’efficacité de la coopération internationale face à l’impératif mondiale du développement durable.

Kinshasa, Mars 2018

Pierre CHAMPSAVOIR

Fondateur et directeur associé

COREUM | Gestion des risques et solutions durables

(1) L’Organisation des Nations Unies a adopté en Septembre 2015 son agenda pour le développement durable – Agenda 2030, au sein duquel sont fixés 17 Objectifs de Développement Durable (ODD, SDG en anglais). Ces objectifs, déclinés en 169 cibles et bons nombres d’indicateurs, fournissent un cadre commun et interconnecté pour la préparation et la mise en œuvre des politiques nationales et internationales afin d’assurer la transition vers un modèle de développement plus soutenable et profitable pour tous.

(2) Point développé par Ms. Ana Maria Alvarez Herrera, Independent Expert pour Africa 21, ancienne économiste auprès de l’UNCTAD Former UNCTAD Staff

(3) Point développé par Mr. Victor Ovalles Santos, Senior Economic Affairs Officer, Division on Globalization and Development Strategies, à l’UNCTAD

(4) Point développé par Mr. Nassim Oulmane, Chief Officer à la Green Economy and Natural Resources Section – Special Initiatives Division, de l’UN Economic Commission for Africa (UNECA), Addis Ababa, Ethiopie

(5) Point développé par Mr. Daniel Poon, Economic Affairs Officer, Division on Globalization and Development Strategies à l’UNCTAD

(6) CFTA pour Continental Free Trade Area, initié par l’Organisation de l’Union Africaine – actuelle Union Africaine – lors du Traité d’Abuja en 1991 et reprise dans l’Agenda 2063. Point développé par Mr. Christian Knebel, Trade Analysis Branch – Division on
International Trade in Goods, Services, and Commodities, à l’UNCTAD

(7) Point développé par Ms. Matfodhi Riba, Economic Affairs Officer, LDC Section, Division for Africa, Least Developed Countries and Special Programmes, à l’UNCTAD

(8) Point développé par Ms Aïssatou DIALLO, Senior Trade Promotion Officer, Office for Africa, Division of Country Programmes, à l’ITC